Ecrire pour la presse web : le mythe du toujours plus court

Au secours : les lecteurs ne lisent plus !  Il faut écrire de plus en plus court !  Les gens n’ont plus le temps de lire !
Il faut résumer !  La lecture à l’écran fatigue !  Le lecteur ne lira pas plus de 1500 signes ! 

Les rédactions sont comme obnubilées, voire obsédées par ce qui apparaît surtout comme un mythe : le mantra “toujours plus court !”

(Suite de ma série sur l’écriture web, entamée avec les portes d’entrée de votre article.)

Lorsque j’écris pour la presse en ligne, j’entends ce mantra à longueur de journée : il faut écrire plus court !  Les gens n’ont plus le temps !  Il leur faut des textes courts !

Un rédacteur en chef me disait récemment que mes articles étaient trop longs : “le lecteur décroche !

Lorsque je lui demande quels sont les critères objectifs qui lui font dire que le lecteur décroche, il avoue : “je n’ai pas de moyen objectif de le démontrer, mais le lecteur doit décrocher après un article de 7.000 signes !

C’est évident !  Un lecteur DOIT décrocher avant la fin d’un article de 7.000 signes.   Mais il n’y a rien de plus trompeur que les évidences.

J’aime me baser sur des preuves.  Et donc, je pars à la chasse de ces “signes de décrochage” des lecteurs.

Je prends l’article le plus long de la série : 9.000 signes !  Un scandale par les temps qui courent…

Il se trouve que c’est le plus lu sur ce site web d’information depuis longtemps.  C’est aussi l’article  le plus cité par les confrères d’autres sites d’information.  Et c’est l’article le plus reproduit par les réseaux sociaux.  Or, les icones de partage de l’article sur les réseaux sociaux sont placés tout en bas de page (très mauvaise idée, soit-dit en passant).   Ce qui signifie que les lecteurs sont allés jusqu’au bout de la page, sinon de leur lecture…

L’article court : un mythe digital que rien n’étaie

Car cette obsession du toujours plus court n’est qu’un mythe !  Un mythe que rien n’étaie.

Celui qui en parle le mieux, pour moi, n’est pas un journaliste.  Alberto Cairo est un spécialiste de l’infographie et de la visualisation de données.  Mais  sa longue pratique des médias lui a appris quelques leçons.  Dans une interview pour Lab.radio.Canada, il précise ce “mythe du toujours plus court” :

“La vérité est que chaque lecteur est différent. Si tous les lecteurs étaient les mêmes, des publications comme The New Yorker, le National Geographic, The Atlantic, Harper’s, etc., cesseraient d’exister.”

Alberto Cairo précise que chaque lecteur est spécifique :  le “lecteur moyen”, cet être mythique dont on nous rebat les oreilles dans les rédactions, n’existe pas.  Chaque lecteur montre un intérêt pour certains thèmes et pas pour d’autres.  Si c’est la politique internationale et l’économie qui l’intéressent, ill survolera à peine les articles qui parlent de sport et de produits cosmétiques.  Par contre, il lira en profondeur les articles qui traitent du positionnement de la Turquie au Moyen Orient et il appréciera qu’on lui apporte une information approfondie sur ce sujet.  C’est-à-dire un vrai contenu : de l’information inédite, certes,  mais aussi de l’analyse,  un point de vue de spécialiste ou de véritable témoin, un éclairage original, des liens internes et externes qui permettent d’aller plus loin, une infographie intelligente qui apporte un surcroît de compréhension, etc.

Rien n’est plus inutile que ces articles moyens, sans véritable contenu, trop longs pour le lecteur pressé et frustrants pour le lecteur intéressé qui souhaite un véritable traitement de l’information…

Une écriture multicouches

Comment remédier à cette situation ?  Alberto Cairo donne une fois de plus une partie de la solution :

“Quelle est la solution, alors? Les couches d’informations, et c’est ce que font les journalistes depuis longtemps : en premier lieu, présenter un résumé de votre histoire, un bon titre, et une introduction avec les faits les plus importants.”

Et donc présenter l’information selon un plan en entonnoir : un bon titre, un vrai chapô et un premier paragraphe qui reprenne les faits les plus importants.

Je reviendrai sur ces éléments – titre, chapô, mots-clés pertinents –  dans d’autres billets.  Ils sont essentiels pour une lecture non seulement par les humains, mais aussi par les robots qui sont votre premier public… (par ordre chronologique, bien entendu : in fine, c’est bien au lecteur humain qu’on s’adresse).

Sur un support papier, la lecture tend à être linéaire
Sens de la lecture sur papier

Une mise en page structurée

Cette écriture multicouche doit être épaulée par une mise en page claire, structurée qui guide le lecteur.  Une titraille adaptée qui balise la page comme le ferait une signalisation intelligente en ville : vous savez toujours où vous êtes et quelle direction prendre pour vous rendre à votre destination !

Car, les rédacteurs ont raison au moins sur un point : on ne lit pas sur le web comme on lit sur papier.  L’internaute, comme l’explique le professeur  Thierry Baccino dans cet article de Télérama, ne lit pas de façon linéaire.

« Lorsque nous lisons un texte imprimé, explique Thierry Baccino, professeur de psychologie cognitive et maître des lieux, le mouvement oculaire est caractérisé par des fixations plus ou moins longues et de nombreux retours en arrière : on parle d’une lecture profonde et attentive. La lecture du Web, elle, n’est pas linéaire. C’est une lecture sélective de recherche d’information qui doit être rapide et efficace. »

Il faut donc en tenir compte et découper la page en “blocs” facilement identifiables.  En portions aisément reconnaissables par le lecteur.  Les intertitres et les photos doivent être placés de façon judicieuse afin que le lecteur sache d’un coup d’oeil ce que contient le paragraphe.

Sur le web, le sens de la lecture est moins séquentiel, non-linéaire
Sens de la lecture sur le web

Il peut donc “écrémer” la page et ne lire que les paragraphes dont les intertitres et les illustrations – photos, infographies, graphiques – ont retenu son attention et son intérêt.

A vous de lui faciliter la tâche en structurant votre page et en guidant votre lecteur avec une signalétique claire et adaptée.  Je reviendrai aussi bientôt sur l’importance de l’habillage pour un article web.

Et vous ?  quelle est votre expérience de l’écriture web ?

Marco Bertolini

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44 commentaires

  1. […] du jour | PQR66 – WEB66 – MOB66. Le Mur de la Presse. Ecrire pour la presse web : le mythe du toujours plus court. Au secours : les lecteurs ne lisent plus ! Il faut écrire de plus en plus court ! Les gens […]

  2. Articles “les plus visités” ne signifie pas articles les plus lus…

    C’est souvent la “matière” + le titre de l’article qui va faire cliquer l’internaute sur une homepage ou une liste de liens. Donc si rien n’étaye cette règle des articles courts, rien n’indique non plus que les articles les plus longs sont plus lus.

    Indiquer la longueur d’un article (nombre de caractères / de mots / par une classification autre, mini JPG) pourrait peut-être avoir un impact sur le choix. Parfois je vais préférer avoir du court, parfois je vais préférer un sujet approfondi. Même si les sujets les plus courts vont mathématiquement avoir tendance à être plus lus dans leur intégralité.

    Tant que l’on aura pas d’analyse oculaire détaillée, difficile de dire entre court ou long ce qui a le plus d’impact. Un peu comme de comparer une chaine musicale comme MCM qui diffuse des montages rapides avec ARTE qui diffuse des documentaires avec des longs plans-séquences.

    • J’ai peut-être été maladroit dans ma formulation, mais je ne dis pas qu’il faut écrire uniquement du document long.

      Cet article était une réaction à la dictature du toujours plus court qui sévit dans bon nombre de rédactions. J’en ai encore eu quelques échos récemment.

      Article plus visité ne signifie pas plus lu : il y a des indications. Quand un article est cité par d’autres, qu’il attire de nombreux liens “naturels” et que les liens tout en bas de page sont cliqués, il y a tout lieu de croire que l’internaute l’a au moins parcouru jusqu’au bout.

      Affirmer que “mathématiquement un article court à plus de chances d’être lu intégralement” ne me convainct pas. Par exemple le magazine Le Vif, en Belgique, sort de plus en plus “d’articles” composés d’une photo et de 4 ou 5 lignes de texte. Quand je vois que je suis “tombé” sur une page de ce type, je la referme, écoeuré par tant de disette et je ne lis pas…

      Je vous rejoins par contre sur le fait que tous les articles ne rencontrent pas les mêmes lecteurs. Si je suis passionné par un thème je suis prêt à lire un dossier de plusieurs articles très longs. Sinon, un article court, bien écrit, me suffit.

      Mais ces “télégrammes” de quelques lignes, qui ne sont que des prétextes à gonfler le taux de clics, m’exaspèrent vraiment…

  3. Merci pour ce papier, qui tape dans le mille AMHA. Quelques observations :

    Je confirme que les articles les plus lus sont régulièrement les plus longs et poussés, en tout cas chez moi. Et je fais du local, réputé allergique aux papiers de plus de 3000 signes.

    Je confirme la manie de la profession pour croire que le lecteur décroche forcément au-delà d’une à une page A4 et demi. C’est en tout cas une remrque fréquente que me font les confrères (les lecteurs jamais par contre).

    Pour la mise en page, j’essaie aussi de créer différents niveaux de lecture. Tous les sujets n’intéressent pas les lecteur avec la même intensité. En particulier, sur des papiers de plus de 5000 signes, j’ai tendance à créer des sommaires avec des intertitres en ancres html : ainsi, le lecteur moins passionné par le sujet a une vue d’ensemble juste après l’intro, et peut aller lire facilement une seule section au lieu d’être obligé d’avoir une lecture linéaire.

    • Merci pour ce commentaire et ces observations, Loris.

      Je suis d’accord : la mise en page est extrêmement importante. Elle joue sur la page le rôle de la signalisation en ville : signaler au lecteur là où il se trouve et où il peut aller. A lui ensuite de savoir s’il veut aller au bout de l’itinéraire ou emprunter un chemin de traverse – un hyperlien, par exemple – ou s’il veut s’arrêter ici par manque de temps, d’intérêt pour le sujet, etc.

      Je confirme aussi qu’aucun lecteur ne s’est jamais plaint de la longueur d’un de mes articles. Et pourtant, les internautes ne se privent pas de commenter sur le contenu…

      Bonne journée.

  4. […] Au secours : les lecteurs ne lisent plus ! Il faut écrire de plus en plus court ! Les gens n’ont plus le temps de lire !Il faut résumer ! La lecture à l’écran fatigue ! Le lecteur ne lira pas plus de 1500 signes ! Les rédactions sont comme obnubilées, voire obsédées par ce qui apparaît surtout comme un mythe : le mantra « toujours plus court ! »  […]

  5. Bravo, je souscrit entièrement avec tout ce qui vient d’être écrit. Il y a bien longtemps que je n’avais pas lu quelque chose d’aussi pertinent en la matière ! A mes yeux, la prose de Marco Bertolini est comme un concentré d’intelligence allié à une solide portion de sensibilité. Et j’ai toujours grand plaisir à venir m’y oxygéner les neurones.

    Un détail me chiffonne, cependant : Que “l’internaute ne lise pas d’une façon linéaire”, j’en suis bien conscient et tout à fait d’accord. Mais à ma connaissance, le lecteur “papier” tenant un journal en main ne lit pas davantage “de façon linéaire”, et, à ma connaissance, son oeil a nettement tendance à parcourir la page en faisant également des “sauts de puce”… Me tromp-je ?

    • Bonjour Bernard,

      toujours aussi perspicace !

      J’avoue que j’ai hésité avant de reproduire cet extrait d’article. Parce que les grands lecteurs – dont tu fait partie sans aucun doute – ne lisent pas de manière linéaire. Et puis ça dépend surtout du type de lecture : si c’est une lecture de type romanesque, tu lis tout, tu t’attardes sur les détails – les fameux décors balzaciens ou les personnages truculents de Dickens ! Mais pour une lecture purement informative, non : on écrème là aussi. Tout n’est donc pas toujours aussi tranché… Mais j’ai gardé finalement cet extraît tel quel pour ne pas alourdir le texte.

      Et merci pour les compliments 😉

      Bonne journée, mon Bernard 😉 A ce soir ?

      Marco.

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