Société de surveillance : tous esclaves de Google ?

Dans la société de surveillance qui se met en place furtivement, allons-nous tous devenir esclaves des GAFAM ?

Silencieusement, de manière très insidieuse et même séduisante, une société de surveillance d’un nouveau genre se met en place.  Un capitalisme qui vampirise nos données pour les transformer en milliards de dollars et influencer nos comportements à notre insu.

Tous esclaves de Google ?

Les données comportementales constituent une nouvelle forme de capitalisme très intrusif et qui accroit les inégalités sociales et économiques
Tous esclaves du Big Data ?

La plupart des Américains se rendent compte qu’il y a deux groupes de personnes qui sont surveillées de manière constante alors qu’elles se déplacent dans le pays.  Le premier groupe est surveillé involontairement par une décision de justice qui leur impose un bracelet de détection attaché à la cheville.  Le second groupe comprend tous les autres…”

Un consultant en assurance automobile, cité par Shoshanna Zuboff dans The Secrets of Surveillance Capitalism, article publié par le journal allemand Frankfurt Algemeine Zeitung, le 5-03-2016.

Une nouvelle société de surveillance

Cette société de surveillance, c’est celle générée par les dispositifs mis en place par Google, mais aussi par Facebook, Microsoft, Apple, etc.   Toutes ces entreprises vous “offrent” des services et des produits “gratuits” en échange de la capacité à capturer, mettre en forme, conserver et vendre ces données.

Il ne s’agit plus simplement de données du type “statique” : votre adresse, votre numéro de téléphone, etc.

Il s’agit de “flux de données” en temps réel :

  • quand vous vous connectez sur le Web,
  • quels sites vous visitez,
  • ce que vous avez “liké” sur Facebook,
  • vos déplacements grâce à Google Maps,
  • vos achats grâce à votre carte bancaire,
  • vos excès de vitesse sur l’autoroute grâce à l’informatique embarquée dans votre voiture,
  • vos maladies ou vos troubles de santé grâce à vos applications de sports ou votre consultation de sites spécialisés,
  • vos transactions bancaires ou vos dépenses mensuelles
  • etc.

Ce n’est pas grave, je n’ai rien à cacher

C’est la réponse que vous entendez le plus souvent lorsque vous évoquez ce type d’outils à des personnes qui ne se sont jamais interrogées sur l’impact de ces technologies.

Or, si vous n’avez rien à cacher, certaines entreprises ont tout intérêt à ce que votre vie devienne transparente.

Par exemple, votre assurance-santé pourrait bien augmenter de manière drastique si vous achetez trop souvent des anti-douleurs.  Ou que votre application de marche quotidienne indique une activité cardiaque jugée “anormale”.  Votre banquier refusera le prochain crédit de votre PME car il estime que vos dépenses personnelles dépassent un seuil tolérable. Votre assureur auto peut vous infliger une augmentation de prime car votre vitesse sur autoroute est jugée excessive.  Votre visa aux Etats-Unis peut être refusé car vous avez consulté des sites Web jugés comme “trop socialistes”.

Des algorithmes destinés à “corriger votre comportement”

Mais, outre que ces entreprises veulent connaître votre comportement, à travers tout un réseau de “données comportementales”, elles veulent aussi “corriger votre comportement“.

Et ceci, à travers un système élaboré de punitions (augmentation de primes d’assurance, amendes pour excès de toutes sortes, y compris alimentaires, interdiction d’accès à certains lieux ou services, etc.) ou de récompenses (bonus, réductions d’achats, “points” ou “badges” à collectionner pour obtenir de meilleures conditions d’achats, etc.).

Par exemple, des systèmes vont récompenser les meilleurs travailleurs, les meilleurs consommateurs, les meilleurs étudiants.

Mais qui va décider des critères d’attribution de ces sanctions et de ces récompenses ?  Des entreprises privées.  Et en fonction de leurs intérêts financiers.  Et non pas en fonction de vos bénéfices social, sanitaire ou économique.

Tous ces systèmes ne seront donc pas créés et gérés de manière démocratique, avec un niveau de transparence acceptable pour le citoyen ou le consommateur.  Ils seront créés et gérés en toute opacité par de grands groupes multinationaux en fonction des exigences de leurs actionnaires.

Une société de surveillance qui accentue les inégalités

Non seulement ce type de capitalisme nouveau genre va tirer des profits monstrueux de l’exploitation de données qui normalement devraient vous appartenir.

Mais il va également susciter de nouveaux écarts, croissants, entre ceux qui possèdent les moyens de capturer et d’exploiter ces données et ceux qui ne les possèdent pas.

Cela veut dire que les revenus générés par des données privées seront concentrés dans quelques mains qui décideront en toute opacité :

  • de l’exploitation qui sera faite de vos données privées
  • de la rémunération engendrée par cette exploitation
  • de l’acceptabilité ou non de vos comportements
  • du système de sanctions ou de récompenses applicable selon les cas

Or, ces inégalités croissantes sont ce qui rend les sociétés instables, c’est ce qui génère les crises les plus dures et les plus injustes.  C’est peut-être ce qui détruira finalement tout le système financier mondial.

Voyez le livre de Thomas Picketty sur le nouveau capitalisme mondial et l’augmentation des inégalités : “le capitalisme produit mécaniquement des inégalités insoutenables, arbitraires, remettant radicalement en cause les valeurs méritocratiques sur lesquelles se fondent nos sociétés démocratiques.”

Et ce que nous avons connu jusqu’à présent n’est rien comparé à ce que le commerce des données nous promet pour les toutes prochaines années…

Comment se prémunir contre cette tendance ?

Il va devenir de plus en plus difficile d’échapper à cette surveillance de tous les instants.  Tous nos services en ligne et hors ligne, grâce aux applications multiples et aux objets connectés, informent sur notre comportement et nous exposent 24 heures sur 24 à une surveillance technologique face à laquelle la dystopie de George Orwell fait figure d’une plaisanterie de communiante…

Mais il existe des alternatives sur le Web.  Framasoft, une communauté d’éducateurs, y travaille.  Cette association propose des logiciels libres, des solutions garanties sans dispositif de surveillance.  Des moteurs de recherche comme Qwant ou Duck Duck Go vous garantissent des recherches sur Internet en toute sécurité.

Il est dommage que les écoles ou les administrations publiques se lient par contrat à des entreprises qui profilent les enfants dès le plus jeune âge…  L’utilisation de davantage de logiciels libres dans l’enseignement me paraît une bonne idée.  De même que la sensibilisation des enseignants aux enjeux du numérique.  Une thématique sur laquelle je travaille et dont je vous reparlerai bientôt.

En tant que citoyens et consommateurs, nous pouvons exiger de nos politiques qu’ils légifèrent en la matière.  Qu’ils exigent à leur tour des entreprises qu’elles pratiquent une politique de transparence sur la collecte des données et leur usage.  Qu’on sache par exemple, lorsqu’on achète une application sportive :

  • quel type de données elle collecte,
  • à qui elle les revend
  • à quelles conditions
  • avec quels objectifs

On nous objectera, bien entendu, qu’il y a des impératifs économiques.  Que les entreprises feront moins de bénéfices si elles doivent déclarer ce qu’elles font de ce qui nous appartient…   L’abolition de l’esclavage aussi, a entraîné des conséquences économiques pour les entreprises de l’époque.  Qui déclarera que c’était une erreur d’affranchir les esclaves ?

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8 commentaires

  1. Difficile d’éviter cette gigantesque toile si on veut continuer à profiter des avantages qu’offrent les “services” des multinationales. Merci de nous offrir quelques pistes de solutions.

    • Oui, c’est difficile. Tout est fait pour nous y conduire. IL y a encore beaucoup d’autres solutions en ligne, je me suis limité à en signaler quelques-unes.

      Par contre, pour toutes les apps “comportementales”, il est difficile d’y échapper…

  2. Pour reprendre Orwell, quand j’étais étudiant, on se méfiait d’un “Big Brother” étatique. Maintenant, on en viendrait à souhaiter que ce soit bien l’État (démocratique) qui ait la main sur toutes ces données.
    Car au lieu d’un État, ou en plus, les “Big Brother” modernes sont bien ces sociétés actuelles et futures auxquelles nous abandonnons par ignorance et confort nos informations.

    En France, depuis bientôt 40 ans, la CNIL nous protège déjà bien mais pas contre cette collecte généralisée et inodore.
    Le problème étant international, il en faudrait une déclinaison mondiale pilotée par l’ONU, qui a déjà fort à faire.

    A ceux qui disent “je n’ai rien à cacher”, je leur demande s’ils seraient d’accord pour que chaque soir un enquêteur vienne à domicile leur demander ce qu’ils ont lu, où ils sont allés, ce qu’ils ont consommé, etc.

    Merci pour ce remarquable article ! découvert grâce à mon lecteur de flux RSS libre !
    Et comme si bien dit, soutenons les acteurs du libre, les plus à même de respecter nos libertés…

    • Merci à vous pour ce commentaire, Laurent 🙂

      Oui la CNIL fait déjà un travail remarquable, mais son autorité ne couvre pas les nouvelles applications. Comment contrôler ce que votre bracelet envoie comme données de santé et ce qui en est fait ?

      Je ne suis pas un “ayatollah” du libre : je crois que le marché du logiciel a une place légitime lui aussi. Mais à condition de jouer franc jeu et de ne pas exploiter les données personnelles à l’insu de leurs propriétaires. Les mêmes qui demandent le renforcement de la propriété intellectuelle pour leurs productions commerciales se permettent d’abuser de vos données sans votre autorisation.

      Il est plus que temps de réagir…

      Merci pour votre soutien,

      Marco.

  3. […] Silencieusement, de manière très insidieuse et même séduisante, un capitalisme d'un nouveau genre se met en place. Un capitalisme qui vampirise nos données pour les transformer en milliards de dollars et influencer nos comportements à notre insu. Tous esclaves de Google ? "La plupart des Américains se rendent compte qu'il y a deux groupes de…  […]

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