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Les Oubliées du numérique – Isabelle Collet

Avec les Oubliées du numérique, Isabelle Collet nous décrit comment les institutions du numériques excluent les femmes de métiers de prestige et rémunérateurs.

Les Oubliées du numérique, dernier livre d’Isabelle Collet, explore une énigme lancinante : pourquoi le nombre de femmes qui travaillent dans le numérique n’a-t-il cessé de baisser depuis les années 80 ? Quelle est leur situation aujourd’hui ? Quelles sont les pistes pour sortir de ce biais de genre trop injuste ?

Isabelle Collet n’en est pas à son coup d’essai, mais cet ouvrage est un coup de maître et vaut le détour.

Les femmes sont-elles réellement les oubliées du numérique ?

Le livre d’Isabelle Collet

Isabelle Collet, informaticienne et professeure de Sciences de l’Education à l’Université de Genève, avait déjà écrit un livre sur le sujet, L’informatique a-t-elle un sexe?, qui lui a d’ailleurs valu le Prix de l’Académie française des sciences morales et politiques, en 2006.

Si elle a repris la plume (ou le clavier), cette année, c’est parce que, alors que pendant les années 1980, la parité hommes/femmes dans l’industrie numérique semblait à portée de main, elle n’a cessé depuis de s’éloigner un peu plus chaque année.

Aujourd’hui, la part des femmes dans la Tech, si on exclut les métiers de l’administration et du marketing, représente environ 15 % de l’ensemble des travailleurs du numérique…

Et, contre toute attente, cette part continue à diminuer. Les femmes sont peu nombreuses dans la création de jeux vidéo, encore moins dans la gestion des systèmes ou à la tête des startups…

Les hommes chassent les femmes des métiers de prestige

Dans Les Oubliées du numérique, Isabelle Collet démontre comment, dans cet univers désormais dominé par les hommes, les femmes ont souvent joué un rôle de pionnières, comme Ada Lovelace qui invente la boucle de rétroaction ou encore Grace Hopper qui écrit le premier compilateur pour langage de programmation Cobol, le rendant ainsi accessible aux non-mathématiciens.

Isabelle Collet

Elle décrit de façon convaincante la façon dont les institutions se structurent pour éloigner de plus en plus les femmes de métiers qui gagnent en prestige.

Et aussi comment on décourage – parfois inconsciemment, en jouant des clichés de genre – les filles d’accéder aux filières techniques ou scientifiques dès la petite école…

La science, c’est un truc de fille !

Ca pourrait prêter à sourire si ce n’était pas :

  • une vidéo officielle de l’Union européenne
  • un clip réalisé avec notre argent
  • une vision de la science plus proche de Barbie que de Niels Bohr

La vidéo ci-dessous est le produit final d’une campagne menée par l’Union européenne pour inciter les filles à s’inscrire dans les filières scientifiques. On a rarement fait pire dans l’exploitation des clichés sexistes et gnangnan… Comme disait Coluche “Rigolez pas, c’est avec votre pognon” !

Cette vidéo a été rapidement retirée de la circulation, même si on peut encore la trouver facilement sur YouTube. Cette opération désastreuse montre à quel point la bonne volonté ne suffit pas…

Même quand elles veulent promouvoir l’emploi féminin, les institutions le font sur un mode déterminé par les préjugés, les normes de genre, un système hiérarchique manifestement dominé par les hommes…

Des pistes pour sortir les femmes du ghetto numérique

Dans les Oubliées du numérique, Isabelle Collet examine deux types de pistes pour aider les femmes à sortir de ce ghetto numérique où elles se retrouvent exclues d’un marché du travail en pleine croissance.

Un monde dominé par les hommes

Des mesures d’empowerment pour les Oubliées du numérique

Certaines mesures favorisent l’empowerment des femmes :

  • des modèles positifs
  • des réseaux de soutien
  • du mentorat
  • des bourses destinées aux filles qui veulent étudier en filières scientifiques

Mais souvent, ces mesures peuvent accélérer ou améliorer des parcours individuels mais ne pas avoir d’effet significatif sur l’évolution des carrières féminines dans le numérique.

Les modèles positifs ont souvent un effet très limité dans le temps.

Marie Curie : le contre-modèle impossible à atteindre

Des mesures qui changent l’institution

L’autre type de mesure qu’Isabelle Collet privilégie, est celle de changement dans l’institution elle-même.

La méthode des quotas a fait ses preuves en politique. Plus de femmes aujourd’hui accèdent à des postes de direction au sein des partis et des structures politiques, du niveau local au supra-national.

Une politique de quotas dans l’industrie numérique modifierait de la même manière la place des femmes et le regard de leurs collègues masculins.

Intelligence artificielle et biais de genre

Le dernier chapitre de l’ouvrage examine un sujet brûlant de l’actualité : l’intelligence artificielle.

Isabelle Collet y démontre à la fois que les intelligences artificielles reproduisent les biais de genre de la société. Par exemple, cette IA de recrutement qui écarte systématiquement les CV de femmes des fonctions techniques ou de direction. Ou cette IA de voiture autonome qui peut éviter les piétons masculins presque sans faille, mais ne reconnaît pas une femme qui traverse la rue.

On pourrait malheureusement multiplier les exemples d’intelligences sexistes ou racistes, non par intention, mais parce que basées sur une collection de données biaisée par des années de pratique réelle…

Les IA agissent donc comme des révélateurs de pensée. Une pensée qui serait sans doute plus équilibrée si l’embauche dans ce domaine était plus diversifiée.

Les Oubliées du numérique : un livre féministe et engagé

Le livre d’Isabelle Collet est claire féministe et engagé.

Ce qu’il analyse, au-delà de l’industrie numérique, c’est un emboîtement de systèmes qui privilégient l’emploi masculin dès qu’il est rémunérateur et porteur de prestige…

Mais ces systèmes excluent donc logiquement une bonne partie de la population d’emplois rémunérateurs et de carrières profitables.

En outre, le biais des systèmes d’intelligence artificielle ou de certaines applications numériques prédisent à coup sûr des accidents ou des injustices dont les femmes seront les premières victimes.

De bonnes raisons pour rétablir l’équilibre et peupler les centres de développement de femmes réelles et non pas de fantasmes entre Barbie et la star du porno…

Les oubliées du numérique, Isabelle Collet, Paris, Le Passeur – Editeur, 2019, 224 pages.

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