Opel : une fermeture prévisible. Et après ?

Tremblement de terre !  Coup de tonnerre !  Catastrophe ! Les métaphores vont bon train…

Pour avoir coordonné la cellule de reconversion Sabena de Charleroi et celle des Cokeries d’Anderlues, je sais ce que les fermetures et les licenciements collectifs peuvent engendrer comme souffrance, comme désespoir, comme solidarités aussi entre travailleurs d’une même entreprise et avec les autres…  Dans les deux cas, les délégués syndicaux ont accompli un travail remarquable avec sens de l’engagement que j’ai rarement vu ailleurs  (sauf peut-être chez les pompiers avec qui j’ai également travaillé et dont l’éthique du service va jusqu’au don de sa vie pour sauver celle des autres).

Mais, contrairement aux tremblements de terre – Haïti nous le rappelle brutalement – la fermeture d’Opel Anvers n’avait rien de soudain et d’imprévisible.

Un secteur en pleine restructuration

Avec une surproduction de 20-30 % le secteur automobile doit se restructurer, c’est inévitable.   Qu’il le fasse avec un tel cynisme et une telle brutalité n’a rien de nouveau non plus, hélas…

Les fusions et acquisitions massives du secteur en témoignent : ne survivront –  selon le très médiatique patron de Fiat, Sergio Marchione – que deux géants européens du secteur, capables de produire plusieurs millions de véhicules par an.

La mondialisation en action

Opel fait partie de General Motors, le géant américain frappé de plein fouet par la crise bancaire autant que par la récession du secteur automobile.  On l’a suffisamment souligné dans les médias : les centres de décisions sont ailleurs et, pour les décideurs de Detroit ou de Pekin (désormais propriétaire de Volvo !)  les travailleurs belges ne sont que des chiffres qu’il faut dégraisser dans les rapports aux actionnaires…

Ce gigantisme et cette dispersion des centres de décision posent de nouvelles questions auxquelles il ne sera pas facile de répondre.  Les industriels savent qu’à partir d’une certaine taille, ils dictent leurs lois aux états.  Quel est le politicien qui prendra la risque d’un licenciement de plusieurs milliers de personnes en déplaisant à un tel géant ?

Le cadre national est complètement dépassé avec de tels acteurs :  certaines multinationales disposent d’un patrimoine supérieur à la richesse nationale de petits pays.

On a beaucoup critiqué les politiques dans la presse ces derniers jours, en soulignant leur manque de vue à long terme, etc.  Mais, jusqu’à nouvel ordre, ces politiques ne font pas partie des conseils d’administration de ces entreprises.  Elles, elles connaissent leur secteur.  Elles savaient qu’elles allaient être confrontées à ces problèmes.  Elles ont choisi de ne rien faire, de continuer à produire en dépit de la baisse de la demande.  En confiant aux politiques et aux syndicats la tâche de gérer la casse humaine.  Une fois de plus, on a privatisé les bénéfices et socialisé les pertes…

Une solution européenne ?

L’Europe est une mosaïque d’intérêts économiques contradictoires : la diversité des peuples et des langues est peut-être une richesse culturelle, mais d’un point de vue économique, les égoïsmes nationaux sont une catastrophe.

Angéla Merkel a pesé de toute son influence pour limiter la casse en Allemagne – rien ne dit à l’heure où j’écris qu’elle y parviendra dans le long terme – Nicolas Sarkozy veut limiter les aides aux industries qui produisent français en France…

Il n’y a pas plus d’unité économique européenne qu’il n’y a de communauté de pensée – et d’intérêt – en matière militaire ou politique en-dehors de la zone Euro – et encore, celle-ci est menacée par les difficultés de pays comme la Grèce dont la dette explose littéralement…


L’Europe est dans une phase délicate : elle entre dans une nouvelle ère régie par le Traité de Lisbonne.  Les décisions importantes devraient se prendre plus facilement qu’auparavant quand la majorité était requise pour prendre la moindre initiative.

Mais, en élisant un Président permanent – Herman van Rompuy – tout en laissant un président tournant tous les six mois, elle a brouillé les pistes et les institutions européennes sont moins lisibles que jamais pour le citoyen.

Elle poursuit son élargissement accéléré vers l’Est à un rythme que ni les citoyens, ni l’économie ne sont en mesure de soutenir.  Il faut élargir si on veut que le bloc européen pèse suffisamment devant les nouveaux géants économiques comme la Chine et le Brésil.  Mais pour l’instant, les institutions européennes elles-mêmes ne sont pas taillées pour un ensemble si énorme et si disparate.  Il est donc urgent de se doter des outils nécessaires pour élargir… avant d’élargir encore.

Il est donc vain d’attendre une solution rapide et toute faite de l’Europe.  D’autant que les règles qui la régissent sont celles du libre-échange intégral, du marché le plus dérégulé possible, avec une concurrence maximale…

Déplacement du centre de gravité économique

Aux 19e et 20e siècle, la Belgique était un petit pays doté d’une main d’oeuvre bon marché et qualifiée.

A la fin du 20e siècle, la mondialisation a changé la donne et la main d’oeuvre bon marché se trouvait surtout en Asie, l’avantage comparatif de la Belgique résidant dans la qualification élevée de sa main d’oeuvre.

Ce n’est plus vrai aujourd’hui : nos enseignements professionnels et techniques sont dans un état lamentable, le financement des études dépend d’une Communauté française exsangue, quant à nos universités, elles forment des cohortes d’étudiants en sciences humaines alors que nos entreprises manquent cruellement d’ingénieurs, de techniciens et de scientifiques.

Les performances de nos étudiants en sciences, selon le rapport PISA, nous placent toujours au-dessus de la moyenne de l’OCDE, mais derrière respectivement : la Finlande, le Canada, le Japon, la Nouvelle-Zélande,  Hong-Kong (Chine), le Taipei chinois, l’Estonie, l’Australie, les Pays-Bas, la Corée, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la République Tchèque, la Suisse, l’Autriche…

Sur ces 15 pays qui nous précèdent, 4 sont asiatiques et deux issus de l’ancien bloc de l’Est.  Dans un article sur un autre blog, je parlais de la croissance exponentielle des étudiants asiatiques dans les universités américaines.

Jean-Yves Huart dans un article récent souligne que la croissance économique chinoise  est plus rapide que prévue et que la Chine, à ce rythme, deviendra la première puissance économique mondiale non pas en 2040 ou 2050, mais en 2020, dans 10 ans !

Le monde de 2020 ne ressemblera plus à celui que nous connaissons.  Le club des pays décideur comprendra des pays comme la Chine ou le Brésil.   Où sera l’Europe ?

Une révolution culturelle

Ce dont la Wallonie, la Belgique et l’Europe ont besoin, c’est d’une vraie révolution culturelle.

Il faut avoir le courage de ne pas soutenir artificiellement, à grands renforts de subsides publics, des secteurs condamnés, comme les usines d’assemblage, à faible valeur ajoutée.  Mais quel politique belge ou européen aura ce courage ?

Il faut investir massivement dans les sciences, dans la technologie, dans les services de pointe.

Il faut investir encore davantage dans l’éducation de nos jeunes et leur donner une chance de réussir dans un monde de plus en plus globalisé et de moins en moins occidental…

Il faut une révolution culturelle.  Pas demain.  MAINTENANT !

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